Il est 13h10, et tandis que je remonte en cours, mon cœur s’accélère. Le temps passe, et seuls ces quelques chiffres occupent mon esprit : 1-4-5-0. 14h50. Tandis que le cours d’économie commence et que je révise discrètement le français, sans écouter un seul mot de ce qui se dit autour de moi (voilà un très bon exercice de concentration). Mais, si les voix que j’entends autour de moi ne me dérangent pas, la panique, elle, est bien plus redoutable. Que faire, que relire, que réviser, lorsque j’ai l’impression de ne connaitre que quelques plans, et que rien ne semble me revenir en mémoire ? Comment lutter contre cette angoisse grandissante, alors que je n’ai aucune culture en poésie ? Alors je lis, je lis, je lis, car c’est bien la seul chose qui me reste à faire. Le temps est trop limité à présent, c’est trop tard. Suis-je trop fataliste ? Peut-être bien. Pourtant, j’espère, j’espère. Mais que signifie ce verbe, lorsque l’espoir se résumé à attendre un miracle ? Il faut se rendre à l’évidence, et pour cela quelques chiffres suffisent : treize textes à connaitre.
Une amie, depuis ce matin, ne cesse de me dire d’arrêter de stresser, qu’il faut que je me calme, que je vais m’en sortir. Elle affirme que je suis intelligente et qu’il faut que j’arrête de paniquer. Elle a du mal à comprendre ce que je ressens, et c’est bien normal, car je ne suis pas non plus apte à analyser la peur qui me torture l’esprit, ça ne m’était jamais arrivé avant: je suis dans un tel état que j’ai du prendre un médicament ce matin à cause de nausées qui m’ont empêchée de bien dormir cette nuit :
Je me contente de lui répéter avec humour – car j’aime l’autodérision en toutes circonstances – qu’on en reparlera mercredi, quand ce sera à son tour d’affronter la peur de l’examen. J’essaie tout de même d’écouter ses conseils, mais comment se rassurer face au nombre de texte, deux, que je maitrise ? Comment ne plus avoir peur alors que ma culture en poésie est presque nulle, et que celle en théâtre est très limitée ?
J’en suis à une période de grosse remise en question, je me promets que plus jamais je ne m’y prendrai aussi tard pour réviser un examen tel que celui-ci.
Pendant le cours d’économie, entre deux textes, mon esprit s’évade. Je m’imagine dans une salle, devant la professeur. Elle m’annonce que je vais tomber sur Montaigne, j’hurle mentalement de joie. Ce rêve pourrait-il devenir réalité ? Il y a si peu de chances ! Dans la journée, pendant mes réflexions, ou plutôt mes pronostics inutiles, je me suis mise à espérer que certains textes étaient plus appréciés que d’autres par les professeurs, et que la poésie serait délaissée parce qu’on parlait toujours mieux d’un roman que d’un poème. Mais rêver est-il une si bonne idée, alors que cela pourrait renforcer ma déception ?
Le cours de mathématiques a commencé, il est 14h05. Je n’arrive pas à m’imaginer que dans moins de 40 minutes, je quitterai la salle pour me rendre à cet épreuve tant attendue – attendue autant que redoutée. Le temps passe, je continue à réviser, à lire tous mes textes plutôt qu’à apprendre vraiment les plans – je n’ai plus le temps pour cela. Quelques coups d’œil à ma montre, et je panique de plus en plus. A 13h35, je ferme mes classeurs, je range mes fiches, je quitte la salle et je commence à descendre. L’examen a lieu au premier étage. Je suis là dix minutes trop tôt, il ne me reste plus qu’à attendre devant la porte, la boule au ventre. En arrivant devant la salle, je vois un mot affiché sur la porte – comment ne pas le remarquer ces lettres écrites en rouge, à la main ? Il indique aux élèves de rentrer sans frapper pour montrer que nous sommes là. Etant là un quart d’heure avant, je préfère attendre. J’essaie de coller mon oreille sur la porte, en espérant que personne ne voie à quel point je suis ridicule, pour essayer d’entendre l’élève et de deviner sur quel objet d’étude il passe. Malheureusement, je n’entends rien. Je décide donc de passer aux toilettes, puis je reviens en marchant lentement pour éviter que mes talons, petits mais bruyants, se fassent entendre. Le silence accentue mon angoisse. On n’entend pas un bruit dans les couloirs, pas de bavardage dans les classes à côté. Lorsque j’arrive de nouveau devant la salle, la porte s’ouvre et un élève sort. J’en profite pour passer ma tête dans l’ouverture, la prof m’aperçoit et m’invite à rentrer. J’ai donc dix minutes d’avance, mais il semble que ça l’arrange, elle me fait rentrer et je m’approche vers elle. Le moment tant attendu est arrivé. Je m’approche en espérant de tout mon cœur que la chance va me sourire.
« Tu vas passer sur le Supplément au voyage de Bougainville ». Ai-je bien entendu ? Suis-je en train de rêver ? comment est-ce possible que je sois aussi chanceuse ? Je prends la feuille qu’elle me tend, aux anges, où est inscrit la problématique « Comment l'éloge de la vie naturelle permet-elle de condamner les valeurs véhiculées par l'Aumônier », et les critères d’évaluation. C’est on ne peut plus soulagée que je m’installe à un des bureaux de la salle pour travailler. Il faut que je me dépêche, je n’ai pas beaucoup de temps. Je réfléchis quelques instants au plan, j’en note un, mais ça ne va pas, j’en réécris un autre. Voilà qui est mieux. Finalement, j'ai repris presque le même que celui de ma fiche de révision, j’ai juste inversé la deuxième et troisième partie, cela donne donc : « I- Le dialogue (utilité et fonctionnement), II- La morale proposée par Diderot (en parlant du mythe du bon sauvage) III- La critique de Diderot ». J’essaie d’être organisée et de bien gérer mon temps. D’abord, j’écris le titre du I sur une première page, le II et III sur une deuxième page, pour ne pas m’y perdre. Ce serait assez regrettable à l’oral si je ne m'y retrovuais plus dans mes brouillons. J’opte pour la méthode qui me parait la plus efficace : j’écris d’abord, sans réfléchir, toutes les idées qui me viennent, dans chaque partie, pour ne pas me retrouver, à la fin de ma demi-heure, à n’avoir pas traité toutes mes parties. Puis, comme il me reste du temps, je m’autorise à vraiment réfléchir, pour noter toutes les idées que j’aurais pu oublier. Ceci fait, armée d’un surligneur, je mets en valeur sur mon texte quelques phrases, pas beaucoup, uniquement celles que je citerai à l’oral. Enfin, je termine par mon introduction, que je bâcle un peu parce qu'il ne me reste plus beaucoup de temps, et par la conclusion, je prends un peu plus de temps pour pouvoir trouver une bonne ouverture – je choisis de faire un parallèle avec le mythe du bon sauvage chez Montaigne, un sujet que je maitrise bien. Le timing est parfait, elle me demande si je suis prête au moment où je suis en train d’écrire le dernier mot, « Montaigne ». Tant pis, ce cher Montaigne n’aura pas eu le droit d’avoir son nom écrit en entier sur mon brouillon.
Une petite remarque : il n’est pas évident de se concentrer pendant qu’une autre élève passe et parle. Mais, même si je suis parfois tentée d'écouter ce qu'elle dit (elle est tombée sur Céline), j’arrive plutôt bien à être plongée dans mon travail sans être trop déstabilisée. Il y a un moment où la prof a fait quelques commentaires à l’élève, je ne m’attendais pas à ça puisque j'imaginais que ce serait vraiment les mêmes conditions qu'au bac. Je n’ai pas pu m’empêcher de lever mon crayon de la feuille, relever la tête et écouter.
Je me lève et m’installe sur un des deux bureaux devant celui de Mme N. Je suis un peu stressée, évidemment, car j’ai peur de perdre mes mots en parlant. Je ne suis pas forcément très à l’aise dans les oraux comme celui-ci, où même si j’ai mes notes il faut savoir improviser. En même temps, je suis tellement contente de passer sur ce texte que je me sens rassurée, bien plus confiante que ce que j’aurais imaginé. Et puis, j’aime les examens comme ça, c’est l’occasion de me tester (tendance masochiste ?). Mon objectif, fixé depuis quelques temps déjà, est de paraitre à l’aise. Même si je ne le suis pas vraiment, je veux parler d’une voix assurée, lui montrer que je maitrise mon sujet. En commençant à parler, j’arrive à prendre un ton assez assuré, même si je perds parfois mes mots, ma voix ne tremble pas. Je fais mon introduction, ma première partie. J’oublie de parler de quelques éléments, mais je ne m’en rends compte qu’un peu après, ce qui est dommage. Juste avant que je finisse ma première partie, elle m’interrompt, se lève et ouvre la porte qui communique avec la classe d’a côté en engueulant les élèves qui faisaient trop de bruit. Ce qui est amusant, c’est que je ne m’en étais même pas rendue compte, j’étais trop concentrée sur ce que je disais. A mesure que je parle, que j’approche de la fin, je jette des coups d’œil à ma montre, car j’avais lancée le chronomètre au début de ma prestation. Je me rends compte que je suis un peu avance, j’essaie de ralentir mon débit de parole. Finalement, je finis après 8 minutes 30. C’est un peu court, je pense, mais ce n’est pas si mal pour une première fois.
Je m’arrête de parler. Ca y est, c’est fait. Je n’en reviens pas. Un silence un peu étrange s’installe tandis qu’elle finit d’écrire ce qu’elle était en train d’écrire – des remarques sur ma prestation. Je suis intriguée, on dirait qu’elle est en train d’écrire un roman, et j’ai une folle envie de savoir ce qu’elle dit. Pourquoi les professeurs restent-ils toujours neutres en examen ? En plus, je suis du genre à toujours chercher le moindre indice qui me permettrait de détecter les pensées des professeurs, de savoir s’ils ont apprécié ce que j’ai dit. Il n’y a pas eu beaucoup d’indices pendant ces trente minutes de prestation. Cependant, il y a quand même eu quelques hochements de tête qui ont eu le mérite de me rassurer. Et oui, il suffit d’un rien pour être content en examen ! Par contre, ce qui m’intrigue, c’est qu’elle ne fait aucun commentaire, contrairement à l’élève qui est passée avant. Elle commence à laisser entendre qu’elle va me poser des questions sur mon texte, mais elle me ravise, me dit que finalement non on va passer à l’entretien. Je suppose que c’est bon signe, puisque je n’ai pas eu le droit, comme l’élève précédente, à la remarque « ton plan ne répond pas à la problématique, mais beaucoup d’élèves font ça, reprennent celui du cours ». Ce que j’aime chez cette prof, c’est qu’elle parle d’un ton très rassurant. Je ne cesse de me réjouir d’être passée avec elle.
Après ce court silence, il est temps de passer à l’entretien. Comme je m’y attendais, et j’en suis bien contente, elle m’interroge sur mon ouverture (elle me tutoie, ce que je préfère, c'est bien plus rassurant), que j’avais orientée sur le mythe du bon sauvage dans Des Cannibales de Montaigne. Puis elle me pose plusieurs autres questions, très simples finalement : elle prend mon descriptif, me pose une question pour chaque texte que nous avons étudié, ainsi que le texte complémentaire que nous avons vu au début de l'année (un DS sur Des coches de Montaigne) . Après cela, elle me demande si nous avons d’autres textes complémentaires, la réponse étant négative elle décide de m’interroger sur un autre objet d’étude mais toujours dans l’argumentation, c’est pourquoi je me retrouve à parler de Candide, d’abord du chapitre intitulé « le nègre de Surinam » puis de façon plus large « qu’est-ce que Voltaire cherche à faire en écrivant Candide ? ». Je suis assez contente des mes réponses, j’ai réussi à bien les développer, à montrer que j’avais des connaissances. En parlant de Tristes de Tropiques, par exemple, j’ai mentionné le voyageur Villegagnon, qui a fait un voyage auquel Léry et Thevet ont participé. Finalement, à la fin de cet entretien, qui je crois a bien duré dix minutes, il n’y a qu’une question à laquelle je n’ai pas su répondre « qui critique Voltaire en se moquant de l’Optimisme dans Candide ? ». Aucune idée. Mais c’est bien la seule question à laquelle je n’ai rien répondu. C'est dommage, car j'avais croisé la réponse dans l'analyse de ce livre, mais je n'avais pas jugé utile de le savoir. Triste erreur ! Mais ce n'est pas si grave.
Elle me remercie, me rend mes textes. Je les prends, la remercie à mon tour, range mes affaires et quitte la salle. Je suis soulagée, tellement soulagée ! Si contente ! Même si je suis déçue d’avoir oublié de donner quelques informations qui auraient encore plus montré que je maitrisais le sujet, je ressors le sourire aux lèvres. Je pense, sincèrement, avoir une bonne note. Après, je ne sais absolument pas combien je mérite. Peut-être 14, ou 15. J’espère.
Le lendemain, je parle rapidement avec une fille de ma classe pour savoir comment cela s’est passé pour elle (elle est passée juste après moi), elle est tombée sur la poésie, ce qui ne l'a pas arrangée, elle a eu un peu de mal mais s’est à peu près débrouillée d'après ce qu'elle dit. A un moment, je ne sais plus dans quel contexte, elle me dit, par facebook toujours :
« mais toi t'a tellement géré!! elle avait l'air trop contente de toi!! tu connaissais toutes les réponses sauf une j'ai entendu! »
J’espère qu’elle a raison ! En tout cas, je garderai un très bon souvenir de cet oral. J'ai bien conscience qu'une grosse partie de ma réussite n'est due qu'à la chance, puisque je suis tombée sur le texte que je maitrisais le mieux. Comme quoi, parfois on peut avoir vraiment de la chance !
J’ai vraiment pris du plaisir à répondre aux questions d’entretien, j’étais tellement contente de savoir des choses ! Il y a à peine quelques semaines, je n’aurais jamais imaginé que je lirais des essais de Montaigne en entier, que je commencerais Tristes Tropiques, que je lirais Le Supplément au Voyage de Bougainville en intégralité. Pourtant, je l’ai fait, et continuerai à me préparer ainsi jusqu’au Bac. Pour une fois, je me sens fière, cela m’a redonné confiance en moi. A présent, je sais que j’ai les capacités de lire ce genre de textes, et mieux encore, que j’ai la motivation de le faire. Je sais aussi que ma mémoire s'améliorer, et que lire une partie de l'analyse de Candide en surlignant quelques éléments, sans chercher à apprendre consciemment, m'a considérablement aidé. Aujourd’hui, nous sommes mercredi soir. Mon oral blanc est bel et bien fini, je suis complètement détendue. J’ai hâte de recevoir ma note avec les appréciations mais, en attendant, c’est avec joie que je repense à cette journée stressante de lundi, car elle s’est finalement terminée de façon très agréable. J'ai même gardé mon brouillon en souvenir (de toute façon, j'aime tout garder). Je suis heureuse, tout simplement.