Parfois, il n’y a aucun doute à avoir : nous sommes en échec. Alors s’impose à nous la dure réalité, elle nous enlève tout espoir, nous nous retrouvons impuissants face à elle, et nous devons admettre que l’échec est total. Mais l’absence de doute n’est pas nécessairement caractérisée par un échec. Parfois, il s’agit d’une victoire éclatante, et nous pouvons alors exploser de joie. Victoire éclatante ou échec cuisant, nous savons faire la différence entre les deux.
Mais que penser alors de ce qu’on pourrait qualifier de « demi-échec » ou « demi-victoire » ? Comment réagir face à un échec qui cache une victoire, une victoire qui cache un échec ? Nous ne pouvons être tout à fait joyeux, mais comment pourrions-nous oser être déçu ?
Ces réactions contradictoires me tourmentaient, mes émotions ne cessaient de passer d’un état à l’autre. Après l’explosion de joie qui suivit la découverte des résultats, et les larmes de joie qui étaient sur le point de couler, l’excitation se calma peu à peu. La joie m’accompagnait toujours, mais elle était quelque peu masquée par cette note à l’écrit. J’essayais de l’oublier, me répétant avec acharnement que oui, j’avais 54 points d’avance, que oui, je pouvais même viser la mention très bien, objectif que je n’aurais jamais osé me fixer quelques mois, quelques semaines ou seulement quelques jours plus tôt.
Mais cette note décevante menaçait de gâcher tout le reste. Cela était toujours ainsi : capable de me réjouir des jours durant pour une bonne note, incapable cependant d’être complètement joyeuse lorsqu’une note plus basse qu’espéré faisait de l’ombre aux autres.
Mais pourquoi y penser encore ? Etait-ce vraiment ce petit 12 qui allait risquer de me faire perdre une place en prépa ? Le doute m’envahit et m’accompagna durant quelques heures. Je repassais les notes en boucle dans ma tête, cherchant à savoir si aux yeux d’une autre personne que moi-même, elles montraient que j’étais une très bonne élève. Je décidai d’en conclure que ma note pourrait très bien être considérée comme un accident de parcours, et qu’il ne fallait pas m’en inquiéter. Les oraux, notamment, montraient que j’étais une élève travailleuse et cultivée. Cependant, l’inquiétude ne me quitta pas complètement, et je dus repenser mille fois à mes performances positives pour l’oublier.
Aujourd'hui encore, mon esprit n’était pas complètement apaisé, et les larmes me venaient parfois alors que je n’avais aucune raison de ressentir une quelconque tristesse. J’y réfléchis plusieurs fois, en me demandant si c’était ce 12 qui m’attristait, ou s’il s’agissait d’un coup de blues passager qui suivait souvent la fin du stress ou de l’excitation. Je voulais nier l’évidence, mais je savais que ce sentiment étrange qui s’était emparé de moi ne pourrait pas me laisser en paix tant que je ne me serais pas mise au clair avec moi-même. Peut-être certaines personnes arrivent-elles à se mentir à elles-mêmes, mais ce n’était pas mon cas.
Quelle était cette évidence que j’essayais de me cacher ? J’étais tout simplement jalouse. Jalouse parce que deux de mes amies avaient mieux réussi que moi. Jalouse surtout parce qu’elles avaient brillé à l’écrit d’invention (18 et 19). Et je crois que c’est ce qui me fit le plus de peine. Pas leur réussite, certainement pas, mais le fait que je n’aie pas été capable de réussir aussi bien qu’elles, alors que l’écriture était ma passion depuis bien longtemps.
Qu’avait-il pu bien se passer au cours des dernières années ? Je me mis à songer à mon passé, à cette enfance si douce, cette innocence qui me laissait croire que j’écrivais mieux que tous mes camarades. Peut-être cela était-il vrai : je crois avoir aimé l’écriture depuis que je sais le faire. J’écrivis des histoires de chats et de souris, j’inventais des héros à qui il arrivait de nombreuses aventures, et ce fut en CM1 que je terminai ma première nouvelle « visite à Rome », qui faisait environ six pages. Elle était parsemée de fautes d’orthographe, certes, mais j’étais convaincue que cette nouvelle était géniale comparé à ce qu’étaient en mesure d’écrire mes camarades. J’étais certainement un peu prétentieuse, mais qu’importe ? J’avais confiance en mes capacités.
Mes pensées, ensuite, me ramenèrent au collège. Peu impliquée, je ne brillai d’abord pas en français, mais cela changea durant les deux dernières années, puisque mes rédactions obtenaient bien souvent des notes brillantes. Pourtant, une crainte commençait à grandir en moi, celle de me faire rattraper par les autres, que le trop peu d’entrainement que j’avais ne finisse par me faire perdre mon niveau resté supérieur à celui de mes camarades. Mes craintes se virent confirmées au lycée, lorsque je me rendis compte que les élèves qui avaient un style particulier et très agréable à lire n’étaient pas rares. Un style meilleur que le mien. Je savais que ce n’était pas une compétition, pourtant je ne pouvais m’empêcher d’être secrètement jalouse et de m’en vouloir de n’avoir pas suffisamment écrit au cours des dernières années.
Pourrait-on me blâmer pour cela ? Je crois que beaucoup de personnes, au fond, sont contents de pouvoir se distinguer dans au moins un domaine. C’était mon cas, et jusqu’à présent je considérais que mes deux principaux atouts étaient la musique, et bien sûr l’écriture.
Ce fut durant cette année de première que je me rendis compte qu’en plus du manque d’entrainement en écriture, je n’avais pas suffisamment lu. Presque pas, à vrai dire. Or je savais que la lecture était essentielle pour bien écrire. L’évidence m’apparut alors : mon niveau n’avait plus rien d’exceptionnel, je m’étais « fondue dans la masse », mon style n’avait plus rien de remarquable.
Mes souvenirs se dissipèrent peu à peu, et ce petit voyage au cœur de mon passé rendit le présent beaucoup plus clair. En analysant mon parcours dans ce merveilleux domaine qu’était l’écriture, j’avais pu, enfin, comprendre pourquoi ma note me faisait autant de peine. C’est qu’elle m’avait mis en face de la réalité, et qu’avec ce 12 sous mes yeux, je ne pouvais plus me mentir. Je me rendis compte qu’au fil des années, ma paresse m’avait fait perdre une des plus grandes qualités qui me caractérisait, celle de bien écrire, et d’avoir un style particulier. Si je m’étais suffisamment entrainée, que j’avais suffisamment lu, peut-être mon niveau aurait-il été bien meilleur, et j’aurais pu oser me dire que peut-être, j’avais un talent dans le domaine.
Tandis que je m’occupais en lisant, en parlant avec des amies par sms ou en rageant ma chambre, je réfléchissais toujours, et mon analyse arriva au cœur du malaise et de la crainte qui m’accompagnaient. Voilà donc la question que je me posais inconsciemment depuis le début : avais-je vraiment du talent, ou tout s’était-il envolé durant toutes ces années ? Etait-il trop tard à présent ? Je me posais une foule de questions, qui me parurent dans un premier temps un peu idiotes, mais beaucoup moins en m’y penchant davantage. Car je savais que l’enfance et l’adolescence étaient les moments les plus propices au développement d’un talent. Après tout, un enfant n’apprend-il pas la musique plus facilement qu’un adulte ? Cela était-il différent pour l’écriture ?
Par mon insouciance, j’avais peut-être gâché un talent, un talent que j’aurais pu développer à merveille au fil des années, mais qui à la place s’était probablement envolé, et qui ne reviendrait peut-être pas.
Tout cela n’était que des suppositions, je ne pouvais être persuadée de rien. Il y avait une chose dont j’étais certaine, en revanche : j’avais finalement identifié le cœur du problème. Je savais que même si la note en elle-même ne me plaisait pas, ce n’était pas ce nombre qui m’attristait, mais tout ce qu’il reflétait de façon si claire.
Alors bien sûr, tout accident existe, et ce travail d’invention était davantage un travail d’argumentation que d’écriture. Mais cela restait un sujet d’invention, et les deux personnes que je connaissais, qui aimaient énormément lire, et écrire pour l’une des deux, avaient eu des notes brillantes.
Voilà pourquoi je suis, encore maintenant, un peu troublée. Ce que j’écris là parait certainement égoïste, beaucoup de personnes rêveraient d’échanger mes notes avec les leurs. 54 points d’avance, soit 6 points d’avance pour la mention très bien, ce n’est pas rien. Mais je viens d’évoquer un « problème », un doute, qui me perturbe depuis un certain temps déjà, mais qui a été intensifié par le bac.
Quant à toutes ces questions que je me pose, je n’ai pas, et je ne trouverai certainement pas de réponses. La seule chose dont je suis certaine, c’est qu’on n’obtient rien sans rien, et que je vais continuer à m’entrainer, à écrire pour améliorer mon style, et à lire évidemment.
J’aimerais cependant terminer sur une note positive, sur une remarque que je me suis déjà faite quelques fois : j’ai l’impression que j’arrive plutôt bien à imiter le style d’un auteur. Je n’écris pas des textes exceptionnels, mais quand je lis et que je m’imprègne du style d’un auteur (si le style en question est marqué), j’arrive plus ou moins bien à le sentir et à en retranscrire l’ambiance. Ce n’est jamais parfait, évidemment, mais j’ai toujours aimé donner des ambiances particulières à mes écrits. Et, donc, si j’arrive à imiter le style d’un auteur, j’ai l’espoir de progresser rapidement en écriture. Si je lis beaucoup, peut-être que mon style s’améliorera assez vite. Mais je n’en suis pas sure, et je reste dans ma phase de doutes. Il n’y a que l’entrainement qui pourra me le dire.
Bon, et avouons-le quand même, ces deux petits chiffres, 12, ne me plaisent pas du tout, et j’espère qu’ils ne vont pas compromettre mon admission dans la prépa assez réputée, bien qu’un cran en dessous des grands lycées parisiens, que je vise.
Pour le reste, je n’en ai pas parlé, mais je suis ravie de mes notes. Même si je ne comprends toujours pas comment j’ai fait pour avoir 17 en sciences alors que je n’ai jamais dépassé 13, et comment j’ai pu avoir 18 à l’oral alors que je pensais avoir fait un travail médiocre (maintenant j’aime encore plus le festival d’Avignon !). Mais je ne vais pas m’en plaindre, au contraire, j’ai encore le sourire aux lèvres. Et puis, le 20 en TPE, waouh, jamais je n’aurais imaginé avoir un 20 au bac !